vendredi 9 mars 2012

Ce qui se fait de pire



— Je suis ce qui se fait de pire en ce moment.
Il se contenta d’acquiescer. Assis sur l’unique chaise de la pièce, voûté et rigide. Il ne voyait pas la lumière qui inondait l’espace, depuis la lucarne du plafond.
— Qu’en penses-tu ? Un seul c’est suffisant, non ?
Il acquiesça à nouveau. Il n’avait jamais su lui tenir tête. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait raison. Sa logique était au-delà. Il leva la tête, comme pour méditer ses paroles. Comment pouvait-il tolérer sa présence ? La lumière faiblit un instant, un nuage sans doute. Aucune importance, il les aimait bien, surtout au soir lorsqu’ils se teintaient de pourpre sous les rayons du soleil déclinant.
Il repensa à sa première phrase. Le mot « pire » lui posait tout de même un problème. Pourquoi avait-il choisis ce mot ? Il n’y avait pourtant rien d’ignoble, de méchant. D’évidence, la rhétorique lui importait plus que le sens véritable de ses paroles. Abject lui semblait maintenant plus approprié. Mais il lui vint soudain à l’esprit que pour lui, le sens véritable du mot ne signifiait justement rien. Combien de fois l’avait-il entendu pester contre le sens restreint des mots? Il saisit sur l’instant que par « pire », il n’avait fait qu’induire une réaction émotionnelle spécifique, selon le contexte spécifique de ses schémas mentaux, réaction qu’il maîtrisait parfaitement. Donc évidemment, il n’avait pas besoin que pour lui, « pire » revête un sens particulier.  Seul le processus lui importait.
— On devrait peut-être s’arrêter là. Je ne suis pas sur qu’ils aient envie de continuer à endurer le non-sens apparent de cet amas informe.
Il tâcha de l’oublier. Il n’a pas besoin de lui, ou plutôt quand il n’a pas besoin de lui il a besoin qu’il ne soit pas là !
— Voilà le problème. Un seul suffit, et depuis le début. Mais Lequel ? Le choix doit être opéré. Sinon, cesse sur l’instant.
Il releva les yeux de son clavier. Oui, il fallait maintenant choisir. Sur le coup, il regretta de l’avoir invectivé de la sorte. Il relu rapidement tout ce qu’il avait tapé jusque là, puis termina sa phrase. Et en commença une deuxième, qu’il songea laisser en suspens, avant de la terminer  malgré tout, parce qu’il ne faisait qu’écrire ce qu’il était lui-même en train de faire. Tout de même, on se demande s’il y a là un intérêt. Il écrivit alors qu’il (enfin, celui du début, qui est assis), qu’il, donc, se levait et allait se placer sous la lucarne, et que lorsqu’il fut juste en dessous, il ouvrit les yeux.  Ou plutôt non, il s’aperçu qu’il avait les yeux ouverts. Et alors, il vit que la pièce était emplie de lumière, comme je l’ai écrit au début : « Il ne voyait pas la lumière qui inondait l’espace, depuis la lucarne du plafond. ». A partir de là, n’importe quoi pourrait sembler une suite. Disons que tu vas le retenir, l’appeler. Il est faible devant toi, il ne peut que te suivre. Dis lui de se retourner et de te regarder.
— Ne veux-tu point me regarder ? Je t’ai dis que j’étais ce qu’il y a de pire, et toi tu acquiesces, alors que tu refuses de me voir ? Retourne-toi, contemple-moi, toi qui vois maintenant la lumière, et dis-moi lequel tu seras. 
Alors il se retourna. Il savait qu’il avait raison, mais il savait aussi qu’il ne pourrait faire un choix. Alors il le regarda en face. Il le regarda, le détailla. Ce n’était que du vide. Et alors qu’il le contemplait, il comprit :
— Je serais toi.
Et il mourut.


mardi 6 mars 2012

Simplicité


Qu’est-ce que la simplicité ? Simple évidence, relation causale directe, lien d’effet immédiat. Pureté de l’expression. Simple n’est pas simpliste, là est sa profonde complexité. Tout comme complication est facilité, car le chemin de l’essence même est abrupt ; cependant là est sa beauté. On se perd par paresse, et l’on crie l’atroce cruauté du monde pour n’avoir su faire le choix.

Horreur et déliquescence sont le tribut de celui qui, se croyant au dessus, vain par complaisance ou odieux par obstination, croit trouver dans la sophistication la relation privilégiée à la complexité intrinsèque de l’univers, et s’écrie comme tant de méandres sont pour son esprit une douleur dans laquelle il se vautre avec volupté. L’errance infinie dans la fange-cathédrale est le privilège du petit pour qui, logé sous la lentille du microscope humain, tout semble démesuré.

Il n’est pas de dimension cachée, pas de signification retranchée dans l’inaccessible. Ce n’est qu’une architecture, étendue et profonde, se déployant comme une toile, un réseau, reposant sur une tête d’épingle pour toute base par la grâce de la sublime, merveilleuse harmonie d’un équilibre fluctuant, fluide, gardien en lui-même de ses parfaites proportions.  Et comme l’on ne peut se définir sans regard, toute sa surface n’est qu’un immense miroir, une contemplation, le mécanisme puissant de la machine-univers fabricant sans relâche ce qui la fait grandir : de la conscience. 

lundi 5 mars 2012

Paresse


La paresse d’un esprit à se déployer est plus à même de le tuer que toute menace à son intégrité. Tourné en lui-même, il laisse sa coquille se flétrir, se resserrer sur lui et l’emporter dans la tombe, dans sa sépulture de chair racornie, méprisée, carcan indissociable éternel.

La paresse nourrit la peur devant la perspective d’un effort. La peur nourrit la paresse devant une perspective inconnue dont nous pourrions ne pas triompher. Succubes insatiables, amantes exclusives dont il est si douloureux de se détourner. Voilà comment la mort semble une issue plus accessible et bien moins traumatisante. On ne voudrait pas qu’elle devienne souhaitable.

Écoulements crâniens


Las de cette cacophonie abrutissante, de cette tempête tumultueuse et de ce non-sens inextricable, il vint à mes sens que le mieux à faire était encore de relâcher un peu de pression. 

Branchant alors la caisse à résonance cérébrale, emplie d’un vacarme inintelligible et bourdonnant, directement sur l’encéphalosismographe manuel, dans l’espoir que les courbes fracturées ainsi produites dégagent un semblant de signification, ou, à tout le moins, un spectacle point trop navrant. 

Mais de l'usage qui pourra être fait des reliquats de cette dissection craniale, de cette extirpation d'un jus méningé, nous ne nous avancerons pas trop ; sûrement en aplats sur ces pages, ils seront du plus bel effet.